Lauréat du Prix photographique Ville de Levallois 2013

Texte par Paul Frèches
Publié pour la première fois dans le Photo Levallois catalogue, France, octobre 2013

Max Pinckers prend la forme documentaire comme point de départ, pour construire des ensembles qui en exploitent les paradoxes et les limites. Une rigueur remarquable ressort de l'ensemble des choix qu'il effectue depuis le choix du sujet traité, le protocole de prises de vue, jusqu'à la mise en forme des images. La densité de sa réflexion trouve son pendant dans la qualité de ses photographies. Après un premier travail mené en duo avec un de ses camarades de l'académie royale des Beaux-Arts de Ghent sur les travestis thaïlandais (le fantasme, sous toutes ses acceptions, semble constituer la matière première l'œuvre de Max Pinckers), il entame The Fourth Wall en 2012, au cours d'une résidence à Bombay.

Sorte de portrait à rebours de la ville à travers l'imaginaire de ses habitants, l'ensemble dont la forme initiale est un livre auto-édité, est constitué d'images mises en scène avec soin, de photographies trouvées et de textes divers (citations, articles de presse locale, extrait de récit, script de film), dont la diversité entretien la confusion sur la nature des images et de leur source.

La majorité des photographies sont réalisées avec des personnes ordinaires rencontrées dans l'espace public, auxquelles Max propose de rejouer une scène de leur choix, issue d'un film ou d'une série télévisée. Ces inconnus se prêtent au jeu avec une délectation communicative, tandis que Pinckers photographie leur performance avec des moyens techniques élaborés. L'éclairage est soigné, le cadrage précis, et le photographe laisse délibérément apparaître dans l'image les éléments qui attestent sa mise en scène et donc son caractère purement fictif. D'autres photos sont des reconstitutions basées sur les textes cités ci-dessus, ou des images trouvées faisant écho au propos de Pinckers.

Loin de l'image angélique véhiculée en occident, d'une Inde en plein boom économique, se conformant docilement à l'exotisme exubérant et bon teint de certaines productions de Bollywood, Pinckers esquisse, en filigrane de ses photographies réjouissantes, parfois presque ingénues, une réalité sociale d'une noirceur radicale.

Cette noirceur est présente dans les sources de certaines des photographies, puisque les scènes rejouées sont parfois des tragédies, jonchées de meurtres, de désillusions et de suicides, sur fond de grande pauvreté. Mais l'aspect formel très pictural et le caractère ostensiblement théâtral des photographies, l'enthousiasme des acteurs d'un jour, leur confère une clarté, une légèreté, qui leur donne une ambivalence passionnante.

Egalement à l'état de latence, l'autre forme de violence qui parcourt ce travail émane de la production industrielle d'un imaginaire (par la télévision, le cinéma et aussi la presse) qui s'impose aux individus et leur fournit des repères erronés. Si elle offre des exemples cocasses, la confusion rapportée par Max Pinckers entre le monde réel et le spectacle pousse parfois les individus à des actes tragiques. C'est cette indétermination entre le réel et l'imaginaire mise en évidence selon des moyens inventifs et multiples qui est au cœur de The Fourth Wall.

Oscillant entre réalité et fiction, farce et tragédie, Max Pinckers joue au prestidigitateur. Les écrans, rideaux et masses de fumée colorée qui rythment ce travail sont comme autant de faux-semblants et de voiles occultant le monde réel et ses représentations.

Max Pinckers est né en 1988. Diplômé de l'Académie Royale des Beaux-Arts de Ghent, il est membre du collectif foundfootgae.be, plateforme qui promeut des archives d'images et de textes vernaculaires.